Corrida : Je suis un aficionado !
Je suis un aficionado ! Donc, pour certains (beaucoup ?) je suis un être primaire et cruel. Que faire d’autre sinon assumer ?...
Toro, que tu es beau ! Je t’admire parce que tu es un animal magnifique. Dans ton pâturage, tu affiches une puissance paisible. Je désire t’approcher pour jouer comme je le ferais avec un animal familier à qui je ne voudrais infliger aucune douleur. Mais, si je m’approche, je dois éviter ta charge. À ce jeu, ta corne peut être mortelle. Alors, je m’octroie le droit de vouloir te tuer. Bien que, ou parce que, tu es beau et que je t’aime...
Mais, je ne suis pas torero. Je n’ai pas eu l’occasion de le devenir. C’est pourquoi « je » tue les toros par procuration. Celle du matador.
J’aime la corrida lorsque le toro qui entre dans l’arène n’a, en rien, été diminué dans ses facultés. J’apprécie la pique du picador lorsqu’elle est loyale. Sans elle, le port de tête du toro demeurerait trop altier pour que, plus tard, le matador puisse l’estoquer par-dessus les dangereuses cornes. J’apprécie également l’esthétique de la pose des banderilles quand elle est faite de « poder a poder » et avec imagination. Enfin, j’aime le travail ultime du matador qui, progressivement, maîtrise et canalise les charges du toro pour le conduire à la minute de vérité : la seule durant laquelle le matador prend un véritable risque car, au moment de l’estocade, il perd la protection de la muleta et s’expose aux cornes. Cet enchaînement de loyauté, de beauté et de courage me permet d’accepter la souffrance et la mort du toro qui s’est montré brave et digne d’affection.
J’aime aussi le rejoneo qui, à la beauté du toro, ajoute l’élégance de l’équitation, de la haute école.
Mais, je déteste la corrida lorsque le toro, préalablement à son entrée dans l’arène, a été diminué dans ses facultés. Je déteste également le picador qui assène des piques vicieuses et assassines. Je trouve ridicule la pose des banderilles quand elle est faite par des banderilleros si soucieux de leur sécurité qu’ils sacrifient l’esthétique et viennent les poser quasiment par derrière l’animal. Enfin, j’abhorre les trop nombreuses fois où les matadors expédient les toros ad patres en renonçant à toute ambition de beauté tragique.
Par ailleurs, je considère que le rejoneo est systématiquement gâché par le fait que les toros combattus sont toujours "despuntados" (bout des cornes coupé). Cela réduit la dangerosité du toro et rend le combat déloyal. De plus, ce procédé autorise le cavalier à nombre de facilités d’un goût douteux.
De toutes les corridas auxquelles j’ai assisté, je ne peux retenir que celles de Luis Francisco Espla, toujours loyal et respectueux du toro, ainsi qu’une seule superbe prestation d’Enrique Ponce.
Aussi, considérant la faiblesse du pourcentage des prestations mémorables par rapport au nombre de combats indignes et déloyaux, je ne serais pas autrement étonné que la tauromachie finisse par disparaître progressivement. Et je n’en serai pas, non plus, particulièrement affecté.
Mais, je serai infiniment attristé par la disparition totale et définitive du toro bravo.
C’est pourquoi je ne pense pas qu’il soit judicieux de procéder à une interdiction brutale de la tauromachie. Il y va du sort d’une race animale ainsi que de l’économie des personnes qui œuvrent dans ce domaine.
Il me semble plus raisonnable et rationnel de prohiber la formation des novilleros afin qu’ils ne puissent plus prendre l’alternative de matador. Ainsi, progressivement, faute de nouveaux effectifs humains, la tauromachie s’arrêtera.
Mais, quid des toros bravos ? Le déclin puis la fin de la tauromachie entraîneront, inéluctablement, la disparition de toute la race des toros bravos qui seront éventuellement remplacés par des bœufs destinés à l’abattoir.
Pour éviter cela, il faudra que l’économie des corridas soit remplacée par une économie de « safari photo » capable de rentabiliser les élevages de toros bravos.
Les anti-corrida seront-ils les meilleurs clients de cette économie de « safari photo » du toro bravo ?