Emprunt National 2010 (ex Grand Emprunt) : bonne gouvernance ?
La Commission sur les priorités stratégiques d’investissement et l’Emprunt National (ex-Grand Emprunt), ou Commission Juppé-Rocard, a rendu son rapport, intitulé « Investir pour l’avenir » (128 pages), au Président de la République le 19 novembre 2009.
Ce rapport est à peine moins médiocre que celui qu’avait élaboré, en son temps, la Commission Attali car il comporte le même défaut structurel : la partie « analyse-diagnostic » y est quasiment aussi succincte, c’est un euphémisme, voire inexistante. En conséquence, les recommandations présentées résultent plus d’a priori non démontrés que de déductions logiques résultant de l’analyse-diagnostic. Je suis sûr que n’est pas encore né l’esprit incommensurablement supérieur capable d’exploiter un tel document de manière efficace.
Un de mes amis, qui œuvre dans l’assistance technique aux pays dits en voie de développement et rédige nombre de rapports techniques présentant analyse-diagnostic et recommandations, m’a dit : « Si, dans ma carrière, j’avais, un jour, présenté un rapport de cette « qualité », je me le serais vu refusé et j’aurais dû renoncer à mes honoraires ». Passons...
Au fil des pages du rapport se dessine le choix d’une double utilisation des 35 milliards d’Euros empruntés : fonds consomptibles et fonds non consomptibles. Cependant, comme une sorte de preuve d’une totale absence d’esprit de synthèse, nulle part dans le rapport ne figure la récapitulation de la répartition des 35 milliards d’Euros entre fonds consomptibles et fonds non consomptibles (22 milliards d’euros empruntés sur les marchés financiers internationaux et 13 milliards financés par les fonds d’aide remboursés par les banques).
Il n’y a que pour l’enseignement supérieur que cette répartition est claire et précise. La proposition de la commission a été de consacrer 1 milliard d’Euros d’investissements immédiatement consomptibles et 9 milliards d’Euros non consomptibles apportés en dotation en capital à 5 ou 10 universités sélectionnées par un jury international.
Il est prévu, espéré, que la dotation en capital de 9 milliards d’Euros rapportera 360 à 450 millions d’Euros chaque année, soit 4 à 5% de rendement annuel pendant un nombre d’années théoriquement illimité. Ce sont ces profits générés par le capital non consomptible qui financeront, annuellement, les actions prévues par les universités choisies.
Ainsi, sur un total de 10 milliards d’Euros consacrés à l’enseignement supérieur, 10% seront des fonds consomptibles et 90% seront des fonds non consomptibles.
Donc, en l’absence de récapitulation de la répartition des 35 milliards d’Euros, entre fonds consomptibles et fonds non consomptibles, et sous réserve de l’arbitrage présidentiel à venir, on en est réduit à formuler une hypothèse de répartition sur la base de l’exemple de ce qui est prévu pour l’enseignement supérieur.
Dans ce cas, 3,5 milliards d’Euros (10%) seraient des fonds consomptibles et 31,5 milliards d’Euros (90%) seraient des fonds non consomptibles. Ces derniers rapporteront, annuellement, entre 1,260 milliard d’Euros (4%) et 1,575 milliard d’Euros (5%) qui seront disponibles pour financer des projets supposés pertinents pendant une durée a priori illimitée.
Encore une fois, cette répartition n’est qu’une hypothèse d’extrapolation élaborée faute de toute autre information précise, dans le rapport de la commission, sur la répartition effective des 35 milliards d’Euros à emprunter.
Par ailleurs, une question se pose : Qui sera le plus bénéfique pour l’économie française ? L’investissement, une fois pour toutes (modalités ? car ces fonds seront investis dans l’économie ou prêtés pour y être investis), des fonds non consomptibles eux-mêmes (31,5 milliards d’Euros = 100%) ou l’investissement des profits financiers qu’ils généreront annuellement (4 à 5% de 31,5 milliards d’Euros) ?
Concernant les fonds non consomptibles, tout cela est bel et bon. À une réserve de taille près : tous ces capitaux seront préalablement empruntés ! En effet, même les 13 milliards financés par les fonds d’aide remboursés par les banques ont été empruntés auparavant pour pouvoir les leur prêter. Étonnante manière de concevoir la capitalisation par emprunt plutôt que par épargne préalable ! Et ce sont deux anciens premiers ministres, férus d’économie, paraît-il, qui nous concoctent une telle ineptie que n’oserait pas retenir un « bon père de famille » pour gérer ses revenus...
Ajoutons à cela que le rapport ne précise nullement les modalités selon lesquelles les capitaux seront empruntés à un « taux T » puis « investis » à un « taux T+Δ ». Bien sûr, la possibilité de générer un différentiel positif net, « Δ » de 4 à 5%, ne tient qu’à la bonne notation actuelle (durable?) de la signature française permettant d’emprunter à un taux très bas « T » sur les marchés financiers internationaux puis d’investir à un taux bien supérieur.
Cela dit, à cette énorme réserve près, personnellement, je ne peux que me réjouir que la Commission Juppé-Rocard ait, sinon découvert, du moins ait été intéressée par les fonds non consomptibles, capitaux ayant vocation à être investis pour générer un rendement annuel qu’elle estime, elle-même, entre 4 et 5% sans limitation de durée.
Ma satisfaction provient de ce que le projet que je propose depuis quelque temps déjà, « Pour un Nouvel Ordre Économique Français Équitable », est basé sur un énergique et ambitieux programme d’épargne préalable suivi du bénéfice, sans limite dans le temps, des profits (initialement recapitalisés à 100% puis à 25%) générés par les fonds non consomptibles constitués durant la phase d’épargne.
De plus, cette satisfaction se double de quelque ironie car, il y a quelques mois, ayant soumis le projet ci-dessus à l’un des membres de la Commission Juppé-Rocard, celui-ci m’avait répondu avec une suffisance, une condescendance, un mépris et un manque d’imagination créatrice certains : « Je l'ai lu. C’est un pur exercice d'intérêts composés ». Je suis ravi que cette personne ait découvert l’intérêt des fonds non consomptibles, fut-ce dans le cadre critiquable de la Commission Juppé-Rocard. Cela sonne comme un réconfortant ralliement implicite à ma proposition.
Post scriptum :
En astronomie, en raison du faible nombre « d’échantillons » observables, les scientifiques appliquent le « principe de pauvreté ou de rareté » (je ne garantis pas l’exactitude de cette appellation) qui postule que tout échantillon observable est représentatif de l’ensemble. Si l’on applique ce principe aux présidents des commissions Attali et Juppé-Rocard ainsi qu’à leurs membres, l’élargissement à l’ensemble de l’élite en matière de gouvernance économique débouche sur une image affligeante de la qualité de cette élite.
De plus, comme cette « élite » sévit depuis de nombreuses années, il n’y a, dès lors, aucunement à s’étonner que la France soit si mal gouvernée économiquement depuis plus de trois décennies. Et, malheureusement, si rien ne change radicalement, la calamiteuse gouvernance économique durera encore très longtemps ! Pauvre France et, surtout, pauvres Français(es)...
Addendum
En dernière minute, j’ai reçu des informations relatives à la constitution et à l'investissement des fonds non consomptibles qui se feraient selon une
séquence plutôt cocasse :
1)
L'État emprunte des capitaux sur les marchés financiers internationaux,
2)
L'État dote en capital l'enseignement supérieur, par exemple, de ces mêmes fonds non consomptibles,
3)
L'enseignement supérieur investit ces fonds non consomptibles dans l'achat d'obligations d'État (obligations émises pour emprunter des capitaux),
4)
Lesdites obligations rapportent, annuellement, 4 à 5% d'intérêts, fonds consomptibles que l'enseignement supérieur peut dépenser dans des projets ad hoc.
En somme, le serpent se mord la queue...
Composition de la commission sur les priorités stratégiques d’investissement et l’emprunt national
Alain Juppé, ancien Premier ministre
Michel Rocard, ancien Premier ministre
Membres de la commission
Edouard Bard
Professeur au Collège de France
Directeur adjoint du CEREGE UMR 6635
Christian de Boissieu
Président du Conseil d’analyse économique
Monique Canto-Sperber
Directrice de l’Ecole Normale Supérieure
Catherine Cesarsky
Haut Commissaire du Commissariat à l’Energie Atomique
Elie Cohen
économiste, membre du Conseil d’analyse économique
Jacques Delpla
économiste, membre du Conseil d’analyse économique
Philippe Dessertine
Professeur de finances à l’université Paris-Ouest Nanterre
Jean de Kerguiziau de Kervasdoué
Professeur au CNAM
Marion Guillou
Présidente du Conseil d’administration de l’Ecole Polytechnique
Alain Grandjean
Fondation Nicolas Hulot
Bettina Laville
Associée du cabinet d’avocats Landwell et associés
Madame Fatine Layt
Présidente de Oddo Corporate Finance
Elisabeth Lulin
Directeur Général de Paradigmes et caetera
Claude Mandil
Ancien Président de l’AIE
Véronique Morali
Président de FIMALAC DEVELOPPEMENT et de TERRA FEMINA
Nicole Notat
Présidente de VIGEO
Erik Orsenna
Membre de l’Académie française
Edouard Philippe
Directeur des affaires publiques d’AREVA
Denis Ranque
Président du Cercle de l’Industrie
Laurence Tubiana
Directrice de la Chaire de développement durable à Sciences Po
Directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires Européennes
Rapporteurs
Rapporteur général :
Philippe Bouyoux
Inspecteur général des finances
Rapporteurs généraux adjoints :
Olivier Ferrand
Président de Terra Nova
Geneviève Le Bigot
Conseiller spécial du maire de Bordeaux
Rapporteurs :
Jack Azoulay
Inspecteur des finances
Thomas Revial
Inspecteur des finances