Food Crops Marketing for Food Security in Developing Countries
Pardonnez-moi si, d’emblée, je tue tout suspense en vous révélant que LE Grand Secret concernant la commercialisation des produits vivriers ne constitue bien qu’un secret de Polichinelle. Si je
paraphrasais le titre d’un ouvrage de René Girard, je dirais qu’il s’agit là « Des choses connues depuis la fondation du monde ».
Mais, alors, me direz-vous, pourquoi y consacrer un article ? Tout simplement parce que « LE Grand Secret de Polichinelle autour de la commercialisation des produits vivriers » continue de générer une catastrophe socioéconomique et humanitaire chez les agriculteurs des pays dits « en développement ».
Je propose, ci-dessous, un schéma théorique ultra-épuré des principes et des mécanismes de fonctionnement de la commercialisation naturelle des produits vivriers stockables, tels que les céréales, sous forme d’un graphique élaboré sur la base d’hypothèses visant à simplifier le problème sans que le graphique perde de sa représentativité.
Hypothèses :
Une seule récolte annuelle ;
Production = Consommation = 100 et,
donc : Exportation = Importation = néant ;
les Industries agro-alimentaires achètent exclusivement aux grossistes-stockeurs.
Ce graphique, où des courbes différentes ont la même couleur, appelle quelques explications. Par exemple, les quantités mensuelles vendues par les producteurs (Q1) figurent en jaune de même que la courbe des prix de vente des producteurs (P1). Dans cet esprit, la courbe retraçant le cumul des quantités vendues par les producteurs (Q2) devrait également être en jaune. Mais, celle-ci figure en rouge car ces quantités cumulées sont, en réalité, achetées par les grossistes, dès la période de récolte, et constituent leur stock (celui des grossistes). La courbe de leurs prix de vente (P3) est également en rouge ainsi que celle représentant leurs ventes mensuelles (Q3) et celle indiquant l’évolution du stock des grossistes-stockeurs (Q4).
Deux constats fondamentaux ressortent de ce graphique :
1)
Les producteurs vendent massivement leurs produits durant la période de récolte ce qui provoque une forte baisse des prix. En année de récolte excédentaire, auto-suffisante ou excédentaire, les
prix perçus par les producteurs restent très proches de leurs coûts de production.
2)
Les grossistes-stockeurs achètent la grande majorité de leur stock au moment de la récolte, profitant des bas prix, puis revendent tout au long de l’année, à des prix nettement plus élevés leur
permettant de réaliser des marges hyper-confortables (amortissement logique des frais de stockage + marge substantielle de « spéculation ») en le revendant depuis la récolte jusqu'à la
« soudure », période précédant immédiatement la récolte suivante.
Dans ce cas de figure totalement théorique, en moyenne annuelle, les grossistes-stockeurs réalisent une marge brute de 63 % sur leur prix d’achat (Prix Vente Grossiste « soudure » / Prix Vente Producteur Récolte = 163 %). Il en va de même pour ce qui concerne les Industries Agro-Alimentaires si, au lieu d’acheter exclusivement aux grossistes-stockeurs, elles s’approvisionnent, via les intermédiaires (« coyotes »), auprès des producteurs durant la période de récolte.
Cette observation est corroborée par les résultats réels constatés, encore de nos jours, dans de nombreux pays ; comme, par exemple, au Burkina Faso par Ellen Hanak-Freud dont les résultats sont présentés ci-dessous.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale et le début des indépendances, c’est sur ce constat des trop faibles marges réalisées par les producteurs et celles excessives engrangées par les grossistes-stockeurs que les pays bailleurs d’Aide Publique au Développement (APD) (Économique ?) et les pays bénéficiaires ont développé des réseaux de stockage et des offices de commercialisation et de régulation des marchés (marketing boards) afin d’accroître les marges des producteurs et réduire les prix des produits vivriers pour les consommateurs.
Malheureusement, si la construction des réseaux de stockage n’a pas posé de problème, les stratégies commerciales dévolues aux offices de commercialisation se sont avérées totalement ineptes et ont généré de tels déficits financiers que l’ensemble est parti en capilotade. À ce jour, il est probable que nul ne sait combien de milliards d’Euros, pendant des décennies, ont été « investis », gaspillés, dans ces infrastructures de stockage, aujourd’hui hors de service, et ces « pseudo-stratégies » commerciales.
Depuis les années 1980, les réseaux de stockage sont obsolètes faute de ressources financières pour les entretenir et les offices de commercialisation, quand ils existent encore, se contentent, au mieux, d’observer l’évolution des marchés ou, au pire, de gérer de trop coûteux et inutiles stocks de sécurité.
Au final, les producteurs de vivriers se retrouvent dans leur peu enviable situation antérieure...
Pourtant, le contexte de la commercialisation des produits vivriers n’a changé en rien dans les pays dits « en développement ».
Malgré ce constat, il est à noter que, par exemple, Ellen Hanak-Freud ne retient pas l’hypothèse du stockage de longue durée réalisé par des grossistes-stockeurs. Cependant, sa démonstration est entachée d’erreur (De l’aide au SOUS-développement du Burkina Faso) et n’explique, en aucune manière, qui stockerait le gros des récoltes.
L’hypothèse, selon laquelle les producteurs en seraient les acteurs, ne tient pas car non conforme à l’observation et parce que, dans ce cas, les prix ne baisseraient pas au moment de la récolte et ils amélioreraient considérablement leurs marges et revenus ce qui leur permettrait d’augmenter leur productivité.
Par ailleurs, on constate que l’analyse de la commercialisation des produits vivriers dans les pays dits « en développement » s’est fortement dégradée.
Avec les meilleures intentions du monde, il est possible de commettre des contresens qui pourraient être lourds de conséquences.
Par exemple, au Honduras, les analystes utilisent le vocable péjoratif de « coyotes » (cf. premier graphique) pour désigner les commerçants itinérants qui sillonnent les campagnes pour collecter les produits vivriers auprès des agriculteurs afin d’aller les revendre chez les grossistes-stockeurs. Pour ces analystes, les « coyotes » seraient responsables des bas prix constatés durant les périodes de récolte et, en conséquence, ils souhaiteraient la disparition de ces intermédiaires.
Or, cette approche est totalement erronée car les bas prix de la période de récolte ne résultent que de l’offre involontairement massive des producteurs durant cette période. Les « coyotes » n’y ont aucune responsabilité et, par ailleurs, s’ils venaient à disparaître, ou à être empêchés d’exercer leur métier, ce serait catastrophique pour les agriculteurs qui demeureraient au bord de leur champ à regarder pourrir leurs produits vivriers...
Il est possible de citer d’autres exemples de la dégradation de l’analyse de la problématique de commercialisation des produits vivriers dans les pays dits « en développement ».
Par exemple, au Togo, en 1981, deux experts, Messieurs Lalau-Kéraly et Surgers, ont réalisé une étude intitulée « Produits vivriers au Togo : Formation des prix ; Circuits commerciaux ». Ayant étudié sur 5 récoltes de maïs, 1975 à 1979, les prix pratiqués à la production en zone excédentaire et à la consommation en zone déficitaire, ils constatèrent que les marges sont constantes en valeur absolue.
Telle est la conclusion de leur étude, confirmée, en 1982, par un autre expert, John Humphrey, qui, dans son étude intitulée « Analyse des opérations et des objectifs de Togograin », affirme : « Les circuits commerciaux actuels constituent le moyen le moins coûteux d’approvisionnement des villes en produits alimentaires et le potentiel de spéculation, dans le contexte d’une « théorie du complot », à laquelle adhèrent de nombreux politiciens et fonctionnaires togolais, est plus imaginaire que réel ».
Pourtant, les graphiques de prix utilisés et étudiés par ces experts montrent, à l’évidence, que, si ces prix varient bien en parallèle aux instants « T1, T2, ..., Tn » (d’où le parallélisme des courbes de prix), leurs fluctuations, entre la « récolte » et la « soudure », permettent à des grossistes-stockeurs de réaliser, comme au Burkina Faso déjà cité, des marges brutes plus que confortables en achetant massivement au moment de la récolte pour revendre tout au long de l’année et, particulièrement, au moment de la soudure.
Ceci dit, afin de ne pas se tromper de cible, il apparaît absolument nécessaire de préciser que les opérateurs économiques qui profitent de la structure actuelle du marché des produits vivriers et de ses anomalies ne sont pas responsables de cette structure et de ses défauts.
Cela relève de la structure naturelle, et inique, des principes et des mécanismes de fonctionnement de la commercialisation des produits vivriers stockables.
Constater cela ne signifie absolument pas qu’il faut s’y résigner et renoncer à modifier la situation dans un sens plus favorable au producteur et au consommateur.
Or, malheureusement, depuis plus de 30 ans, maintenant, il semble que les pays bailleurs d’Aide Publique au Développement (APD) (Économique ?) et les pays bénéficiaires aient « oublié » leur analyse fondamentale initiale qui demeure vérifiée dans la réalité et que, par ailleurs, nombre d’experts produisent des études dégradées et par trop parcellaires, amnésiques ou aveugles.
Au terme de cette brève réflexion sur la commercialisation des produits vivriers dans les pays dits « en développement », il se confirme donc que « LE Grand Secret » en la matière est bien un secret de Polichinelle.
Cependant, il apparaît également, et de manière évidente, que « LE Grand Secret » doit être remplacé par « LE Grand Mystère » de l’intervention des pays bailleurs d’Aide Publique au Développement (APD) (Économique ?) et des pays bénéficiaires en matière de commercialisation des produits vivriers dans les pays dits « en développement ».
« LE Grand Mystère » tient en quatre questions :
Pourquoi l’analyse fondamentale initiale et incontestable est-elle apparemment ignorée depuis plus de 30 ans ?
Pourquoi plus rien n’est fait pour développer des réseaux de stockage et des stratégies commerciales rationnelles, cohérentes et rentables ?
Incompréhension ?
Incompétence ? ...
Conclusion :
La culture de produits vivriers constitue une des composantes majeures de la problématique de Sécurité Alimentaires dans les pays développés comme dans les pays dits « en développement ».
Or, dans ces derniers, on constate que le soutien aux produits vivriers se résume, grosso modo, en deux phases :
1950 – 1980 :
30 années consacrées à la construction d’infrastructures de stockage et à l’élaboration de stratégies commerciales si ineptes qu’elles n’ont généré que des pertes financières qui ont entraîné
l’obsolescence des structures de stockage.
1980 – 2010 :
30 années durant lesquelles plus rien n’a quasiment été fait en matière de stockage et où les stratégies commerciales ineptes ont été remplacées par le coûteux et inutile concept de gestion de
stocks de sécurité.
Au terme de ces 60 années, il s’avère qu’il conviendrait de tout reprendre depuis le début. Et rien n’indique qu’on en prenne le chemin. Pauvres agriculteurs et consommateurs des pays dits « en développement » !...