De l’aide au SOUS-développement du Burkina Faso
(... et de nombre d’autres pays !)
À partir des années 1950, l’Aide Publique au Développement (économique ?) (APD) des pays sous-développés (dits, aujourd’hui, « en développement »), en matière de production et de
commercialisation des produits vivriers dans le cadre de l’instauration de la sécurité alimentaire, était basée sur la correction d’une anomalie déjà constatée, longtemps auparavant, dans les
pays développés qui l’avaient rectifiée, à savoir :
Les producteurs, faute de trésorerie, sont contraints de vendre la quasi totalité de leur production au moment de la récolte, qui ne dure que relativement peu de temps (trois mois, en moyenne,
selon les pays), ventes massives qui provoquent de très fortes baisses des prix dont profitent les commerçants qui, ensuite, stockent ces produits pour les revendre à prix croissants tout au long
de l’année jusqu’à la récolte suivante.
En conséquence, priorité fut donnée à la création de réseaux de stockage gérés par des Offices de Commercialisation. Ces stockages, se substituant à ceux des commerçants, avaient pour but de retenir, au moment de la récolte, les quantités excédant la consommation mensuelle et de les valoriser ultérieurement, tout au long de l’année, à prix croissants pour le plus grand profit espéré des producteurs.
Malheureusement, ces Offices de Commercialisation furent abominablement gérés (il serait trop long d’entrer dans le détail ici) et, dans les années 1980-1990, ils disparurent tous sous le poids de leurs déficits accumulés. En résumé, tous les efforts produits depuis les années 1950 sont partis en fumée. La responsabilité en incombe aux Gouvernements des pays aidés ainsi qu’aux pays bailleurs de fonds qui se sont avérés incapables d’exporter leur supposé savoir-faire en la matière.
Dès lors, la Stratégie de Sécurité Alimentaire, basée sur la régulation de marché, se réduisit à la création et à la gestion de Stocks Nationaux de Sécurité (SNS), concept imaginé par la FAO et adopté par la Banque Mondiale et les autres bailleurs de fonds. On peut dire, brièvement, que le principe du SNS est totalement inepte car, de fait, la production des agriculteur en fait naturellement office et, quand elle est inférieure à la consommation, il suffit de faire appel aux importations pour combler le déficit anticipé. À l’ineptie du concept, il convient d’ajouter le coût prohibitif de sa réalisation.
Durant 1998-1999, j’ai participé, en Mauritanie, à une mission de restructuration du Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA) qui, entre autres choses, prévoyait la création d’un SNS. Je démontrai que cela était absolument inutile et que, de plus, cela coûterait très cher. Malgré cela, mon interlocuteur bruxellois au sein de la Commission Européenne ne voulut rien entendre et persista dans la réalisation du projet initial. En conséquence, je refusai donc de prolonger mon contrat de 8 mois pour une durée additionnelle de 3 ans...
Suite à cela, de manière paradoxale, le même interlocuteur bruxellois m’engagea, durant le second semestre de 1999, pour réaliser un audit des mécanismes de fonctionnement du SNS qui avait été mis en place au Burkina Faso, depuis 1996, et dont la Commission Européenne trouvait (enfin ?) que ce SNS commençait à coûter un peu trop cher au regard de son (in)utilité.
Paraphrasant Blaise Pascal, on peut dire : « Vérité en Mauritanie, en 1999, erreur au Burkina Faso depuis 1996 »...
C’est donc à ce titre qu’au Burkina Faso j’eus à connaître de deux expertises qui démontrent qu’involontairement l’APD peut devenir un aide au SOUS-développement.
Étude Danagro a/s (Septembre 1999)
Cette étude de 20 homme/mois, réalisée par 11 experts et financée par le Ministère des Affaires Étrangères du Danemark (Danida, Coopération danoise), s’est déroulée du 26 octobre au 10 décembre 1998, sous la conduite de Monsieur Ole Olsen du bureau d’ingéniérie Danagro a/s. Le rapport provisoire a été publié en janvier 1999. Le rapport définitif a été publié, en septembre 1999, sous le titre « Plan d’Actions sur les Céréales (mil, sorgho, maïs) 2000-2010 ».
Conditions de la commercialisation des produits vivriers
Au sein de cette mission, Madame Ellen Hanak-Freud fut recrutée comme experte en commercialisation de produits vivriers (céréales) et, à ce titre, s’interrogea sur la réalité du stockage de longue durée par les commerçants et, en conséquence, sur celle des (énormes) profits financiers qu’ils étaient supposés en tirer.
Au terme de ses travaux, par comparaison des marges dégagées par les commerçants entre les prix au producteur, au moment de la récolte, en zone rurale excédentaire, et les prix au consommateur, au moment précédant la récolte suivante, dans la capitale Ouagadougou, Ellen Hanak-Freud démontre que les commerçants burkinabés n’auraient aucun intérêt à procéder au stockage de long terme (7 mois et plus) car sur les 7 campagnes agricoles considérées (1991/92 à 1997/98)[Récolte 91 = Campagne 91/92 ; R 92 = C 92/93 ; etc. Plus ou moins précoce, selon les conditions météorologiques, la récolte intervient, au Burkina Faso, vers la fin de l’année civile, octobre à décembre environ ; d’où ce chevauchement de la campagne sur la fin d’une année civile (1/4 environ) et l’année civile suivante (3/4 environ).], « quatre campagnes, 1991/92, 1992/93, 1993/94 et 1996/97 n’auraient pas permis de se procurer des gains spéculatifs tandis que seules trois campagnes, 1994/95, 1995/96 et 1997/98, auraient permis de réaliser un retour sur investissement, en base annuelle, supérieur au taux bancaire de 17,5 % ». Conclusion : « il faut relever que, si les gains spéculatifs peuvent être importants, les pertes peuvent aussi l’être tout autant ».
Ces résultats sont illustrés par le graphique ci-dessous.
Malheureusement, les calculs d’Ellen Hanak-Freud relatifs à l’intérêt de la spéculation à long terme par le stockage de longue durée des produits vivriers, ainsi que le graphique ci-dessus, sont inexacts.
En effet, dans le cours de sa démonstration (qu’il serait trop long d’exposer ici in extenso), Ellen Hanak-Freud procède, très légitimement à un calcul intermédiaire qui l’oblige à modifier partie de ses données. Mais, par la suite, elle omet de rétablir lesdites données dans leur intégralité originelle afin de poursuivre et terminer sa démonstration qui aboutit aux résultats qui viennent d’être présentés ci-dessus.
En fait, lorsqu’on rétablit les données dans leur intégralité originelle, on obtient des résultats parfaitement opposés à ceux d’Ellen Hanak-Freud ainsi que l’on peut en juger dans le graphique ci-dessous.
Il apparaît donc que, sur les 7 campagnes agricoles considérées, toutes auraient permis aux commerçants pratiquant le stockage de longue durée de réaliser des gains spéculatifs nets extrêmement importants sur tous les produits.
Cela correspond beaucoup mieux aux concepts qui avaient été retenus au tout début de l’APD, dans les années 1950. De plus, cela explique un mystère qu’imposait l’hypothèse d’Ellen Hanak-Freud, à savoir : si les commerçants ne pratiquent pas le stockage de longue durée, où et par qui sont stockés les produits vivriers récoltés massivement par les agriculteurs, durant une période relativement courte ?
En effet, si les agriculteurs étaient en capacité financière de stocker leurs produits vivriers jusqu’à la récolte suivante, et de les commercialiser à proportion de la consommation, tout au long de l’année, les prix ne chuteraient pas fortement au moment de la récolte, pour remonter très fortement en fin de campagne, avant la récolte suivante, et les agriculteurs amélioreraient très sensiblement leurs prix de commercialisation, leurs marges ainsi que leur revenu.
En fait, ils seraient dans un cercle vertueux : amélioration de leur revenu, accroissement de leur capacité d’investissement, croissance de leur productivité, augmentation de leur bénéfice, amélioration de leur niveau de vie et... recommencement.
Or, c’est justement ce cercle vertueux que l’APD cherche vainement à instaurer depuis plus d’un demi siècle !
Enfin, à supposer que l’hypothèse d’Ellen Hanak-Freud soit exacte, à savoir que les commerçants ne pratiquent pas le stockage de longue durée, et que, par ailleurs, les agriculteurs ne sont pas en capacité de stocker par eux-mêmes les produits vivriers qu’ils récoltent et commercialisent, la seule explication pouvant rendre compte de ce double phénomène serait que les produits vivriers demeurent dans des camions pendant des mois et des mois, d’une récolte jusqu’à la suivante. Explication absurde s’il en est...
Étude A.H.T. International GmbH (Août 1999)
Cette étude de 6 homme/mois, réalisée par 3 experts et financée par le Burkina Faso (Ministère de l’Économie & des Finances ; Ministère de l’Agriculture.) et la Commission Européenne, s’est déroulée du 19 avril au 18 juin 1999, sous la conduite de Monsieur Philippe Vivier, expert en commercialisation de produits vivriers (céréales). Le rapport définitif a été publié, en août 99, sous le titre « Les flux céréaliers, les stocks commerçants et la stratégie des commerçants de céréales au Burkina Faso ».
Gains des agriculteurs et des commerçants de produits vivriers
Philippe Vivier s’est interrogé sur la répartition des bénéfices, entre agriculteurs et commerçants, au sein de la filières céréales-produits vivriers.
Début de citation
« …le chiffre d’affaires (CA) de la commercialisation des céréales serait d’environ 28 milliards
de Fcfa [NdR : 1 Euro=655,957 Fcfa ; 1 Fcfa=0,0015245 Euro], les bonnes comme les mauvaises campagnes. Toutefois :
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Les années à production excédentaire, les producteurs et les commerçants / transporteurs se répartiraient à peu près à égalité ce CA.
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Les années à production déficitaire, le CA irait pour les deux tiers aux producteurs et un tiers seulement aux commerçants / transporteurs. Ceci pouvant s’expliquer par le fait que, les volumes traités étant moindres, les frais directs de commercialisation (coûts de transport, en particulier) s’en trouvent réduits d’autant.
Suivant ces hypothèses, ce seraient les « gros » producteurs qui seraient les principaux bénéficiaires lors des années déficitaires, et non l’ensemble
commerçants / transporteurs.
Ces différents éléments d’analyse sont présentés plus en détail à l’Annexe A ».
Fin de citation
Le rapport final de l’étude présente un problème majeur du fait d’un défaut de raisonnement et non pas du jeu d’hypothèses chiffrées retenues par les auteurs et dont ils conviennent qu’elles seraient à vérifier. C’est la manipulation des chiffres, contenus dans un Tableau intitulé « Estimation monétaire du volume de céréales commercialisé », et l’interprétation qui en résulte, indépendamment de leur exactitude en valeur absolue ou relative, qui posent problème.
Estimation monétaire du volume de céréales commercialisé |
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Quantité commercialisée |
Prix unitaire au consommateur (1) |
Valeur des céréales vendues (2) |
Prix unitaire au producteur (3) |
Valeur producteur |
Part du commerce et du transport |
Campagne 1994 (4) |
417.000 |
68 |
28.356 |
35 |
14.595 |
13.761 |
Campagne 1998 (5) |
210.000 |
137 |
28.770 |
90 |
18.900 |
9.870 |
Notes :
1) Moyenne pondérée estimée des prix au détail (en F cfa/kg) sur le marché de Sankararyé.
2) Millions de F cfa.
3) Moyenne pondérée estimée des prix au détail (en F cfa/kg) dans le Kénédougou.
4) Récolte 1993 = Campagne 1993 / 1994.
5) Récolte 1997 = Campagne 1997 / 1998.
La présentation verticale de ce même tableau en fait apparaître immédiatement les multiples erreurs d'analyse.
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Estimation monétaire du volume de céréales commercialisé
Campagne 1993 / 94
Campagne 1997 / 98
Quantité commercialisée
417.000 t
210.000 t
Prix unitaire au producteur
35 Fcfa/kg
90 Fcfa/kg
Valeur quantité vendue par producteurs (I)
14,595.109 Fcfa
18,900.109 Fcfa
Prix unitaire au consommateur
68 Fcfa/kg
137 Fcfa/kg
Valeur quantité vendue par commerçants (II)
28,356 .109 Fcfa
28,770 .109 Fcfa
II - I
13,761 .109 Fcfa
9,870 .109 Fcfa
Il est faux de dire que le chiffre d’affaires (CA) du secteur ne varie pratiquement pas entre 1993/94 et 1997/98. En effet, le CA du secteur ne peut se réduire à la seule valeur des quantités vendues par les commerçants. Il est égal à la somme des CA réalisés par les producteurs et les commerçants [Pour être exact, il est égal à la somme du CA de tous les intervenants dans le secteur : producteurs, transporteurs, stockeurs, transformateurs, commerçants (grossistes et détaillants)]. Soit : 42,951 milliards de Fcfa en 1993/94 et 47,670 milliards de Fcfa en 1997/98. Cela correspond à une variation de 4,719 milliards de Fcfa (+ 10,9 %).
Il est donc également faux d’affirmer que le CA du secteur se répartit, approximativement, moitié/moitié entre producteurs et commerçants, en année excédentaire, et deux tiers producteur, un tiers commerçant, en année déficitaire. En effet, les chiffres retenus comme CA des commerçants, la différence II I, ne correspondent pas à leur CA mais à leur marge commerciale brute.
S’il est exact que le CA des producteurs augmente de 23 %, tandis que celui des commerçants n’augmente que de 1,5 %, il ne convient pas d’en tirer la conclusion que les producteurs ont un profit largement supérieur à celui des commerçants. En effet, la marge commerciale brute des commerçants, en année excédentaire, représente 94,3 % du CA des producteurs et, tout de même, 52,2 % de ce même CA, en année déficitaire.
Les commerçants réalisent, durant ces deux campagnes, une marge commerciale brute représentant, respectivement, 48,5 % (1993/94) et 34,3 % (1997/98) de leur CA. Si, arbitrairement et à titre de seule comparaison, on applique ces mêmes taux au CA des producteurs, la marge commerciale brute de ces derniers ne s’élève, respectivement, qu’à 7,1 et 6,5 milliards de Fcfa ; contre, rappelons le, 13,7 et 9,8 milliards de Fcfa en faveur des commerçants.
Enfin, on retiendra que, comme par inadvertance, l’étude AHT répond au problème posé par celle de Danagro, à savoir : « Les producteurs vendent ils massivement à la récolte, sous la pression des besoins financiers ? ». La réponse explicite de l’étude AHT est claire : « Les ventes importantes de décembre à février alimentent la baisse des cours ». De plus, la totalité des quantités vendues par les producteurs est valorisée au prix ayant cours durant la période de récolte en région de production à potentiel excédentaire, c’est à dire le prix le plus bas.
Cette réponse, illustrée par le tableau précédent, contredit l’étude Danagro sur ce point et, à la lancinante question subsidiaire : « Qui stockerait ces tonnages ? », il apparaît que ce ne sont pas les agriculteurs mais bien les commerçants ce qui leur permet de réaliser les meilleurs profits financiers.
De tout ce qui précède, il résulte que Philippe Vivier a cru démontrer que les agriculteurs gagnaient quasiment autant que les commerçants alors que, par erreur de raisonnement, il a masqué que ce sont bien les commerçants qui tirent les meilleurs profits du stockage et de la commercialisation des produits vivriers.
Le caractère erroné des rapports d’Ellen Hanak-Freud et de Philippe Vivier n’a été détecté ni par le Gouvernement du Burkina Faso, ni par la Commission Européenne.
Leurs honoraires ont été dûment payés et ils continuent, sans doute, de sévir et de prodiguer leurs conseils au sous-développement en vertu de leur expertise en matière d’APD.
Le fait que, dans mon propre rapport, j’aie fait la démonstration de l’inexactitude de leurs démonstrations n’a absolument rien changé en matière de conception de la stratégie de sécurité alimentaire de la part du Gouvernement du Burkina Faso ni de celle de la Commission Européenne.
Ici, alors que j’ai travaillé dans quelque 25 pays, je n’ai mentionné que le Burkina Faso parce que je dispose de l’intégralité des rapports d’étude erronés relatifs à ce pays.
De plus, je me suis cantonné à mon domaine de compétence : les stratégies de sécurité alimentaire et la commercialisation des produits agricoles et vivriers. En va-t-il de même dans les domaines qui ne sont pas de ma compétence ?
Les résultats quasiment nuls, voire contreproductifs, de l’APD incitent à penser que, malheureusement, il en va de même dans tous les autres domaines. En effet, si, malgré tout et heureusement, tous ces pays connaissent un certain développement, force est de constater qu’il se produit « malgré » l’APD et non pas « grâce à » l’APD.
Enfin, dix ans après ces études erronées, les pauvres agriculteurs du Burkina Faso et de nombre d'autres pays "en développement" (passés, par la seule magie du verbe, de "sous-développés" à "en voie de développement" puis, enfin, à "en développement") continuent de « prospérer », c’est à dire de végéter, dans les mêmes conditions qu’auparavant, celles existant avant le début de l’APD, dans les années 1950... Pour combien de temps ? Encore un demi siècle ? Plus longtemps ?...