Compétence, journalisme, politique et auditoire...
Depuis des dizaines d’années, lorsque s’achève l’interview d’un politique, d’un ministre ou du chef de l’État, j’éprouve un immense sentiment d’insatisfaction tant ces interviewes me semblent rester superficielles et ne représenter que l’écume des vagues.
Jusqu’à la dernière interview du chef de l’État, pour des raisons que j’ignore, je n’ai jamais recherché d’explication à ce sentiment d’insatisfaction. Cette fois-ci, je me suis penché sérieusement sur la question et je crois avoir trouvé l’explication de mon sentiment d’insatisfaction : un déficit de compétence.
1. Compétence journalistique
Un(e) journaliste généraliste, seul(e) ou en compagnie de deux ou trois confrères, face à un politique, un ministre et, a fortiori, au chef de l’État, peut-il être compétent dans tous les domaines qu’il doit nécessairement aborder ?
Aussi compétent soit-il, il lui est impossible de maîtriser pleinement tous ces domaines : « politique politicienne », « affaires », politique, économie, emploi & chômage, éducation, affaires étrangères, et cætera...
Pour ces raisons, le journaliste généraliste devrait, au minimum, être assisté de journalistes spécialisés dans les différents domaines abordés ou, idéalement, de spécialistes avérés en chacun de ces domaines.
2. Compétence politique
Symétriquement, un politique, un ministre, voire le chef de l’État, disposent-ils réellement de toute la compétence nécessaire pour répondre, dans tous les détails, à toutes les questions que poseraient des journalistes spécialisés ou/et d’authentiques spécialistes en ces domaines ? Cela est peu vraisemblable.
C’est pourquoi, s’agissant du chef de l’État, par exemple, il serait opportun que, pour chacun des thèmes abordés, il puisse avoir à ses côtés le ministre en charge du dossier de manière à pouvoir entrer dans le détail du sujet avec les journalistes spécialisés ou/et les spécialistes de la question.
3. Compétence de l’auditoire
Certains objecteront, premièrement, que la toute théorique « ménagère de moins de cinquante ans » n’aura pas le niveau de formation et de compréhension suffisant pour accéder à des interviewes dont la substance serait sensiblement améliorée ou, deuxièmement, que ce type d'interview s'adresserait à une sorte d’élite mais pas vraiment au grand public qui, alors, fuirait ce genre d'interview par trop relevé.
La compétence de l'auditoire est en réalité plus élevée qu'on le croit. En général, quand un journaliste-animateur demande à son invité, spécialiste d’un domaine spécifique, de ne pas trop rentrer dans le détail de son analyse parce que « les auditeurs vont être perdus » (sic), c'est parce que ledit journaliste-animateur lui-même ne parvient déjà plus à suivre l’intervention de son invité tandis que cette intervention demeure parfaitement accessible au public...
Quant au reproche potentiel d’élitisme de ce type d’interview, des émissions existantes de vulgarisation intelligente, faisant appel à des spécialistes avérés dans divers domaines, démontrent que des problèmes réputés complexes apparaissent bien plus accessibles lorsqu’ils sont exposés par d’authentiques spécialistes en vertu de l’adage selon lequel : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ».
Je pense donc qu’une telle évolution attirerait de l'audience car, dans le cas des interviewes ministérielles et présidentielles, il en irait de même que pour lesdites émissions existantes de vulgarisation.
4. Conclusion
Il est certain que le dispositif requis serait bien plus lourd que le dispositif actuel.
Pour chaque sujet abordé avec le chef de l’État, il y aurait autour de la table : le ministre en charge du dossier et, en face, au maximum, une demi-douzaine de journalistes spécialisés ou/et de spécialistes reconnus en la matière ainsi que le journaliste généraliste ayant pour tâche de préserver la cohérence du débat.
Dans de telles conditions, il serait impossible de couvrir, en une heure et demie, l’ensemble du champ des activités politiques comme cela se fait depuis toujours.
Chaque interview ne pourrait, probablement, traiter qu’un seul sujet. Mais, au moins, serait-il traité de manière exhaustive.
Certes, le chef de l’État (ou le ministre ; ou le politique) serait contraint à plusieurs interventions, tout au long de l’année, pour couvrir tous les champs d’activité de son Gouvernement mais, au moins, sa parole y gagnerait en profondeur et en crédibilité.