Postulat & hypothèse : Haider = Hitler.
Quelles leçons retenir de l’Histoire pour éviter la répétition de ses drames ?
Nazisme : bis repetita en Autriche ?
L’intransigeance claironnée de Lionel Jospin vis-à-vis du Gouvernement autrichien, dès le début de la présidence française de l’Union Européenne, conduit à s’interroger sur le droit d’ingérence que s’octroient 14 pays sur le choix électoral des citoyens du 15ème pays de l’Union qui faisait entrer le FPÖ au Gouvernement, en octobre 1999.
Certes, Jörg Haider, ses co-listiers et le FPÖ, sont fortement soupçonnés de néonazisme. Mais, ils sont encore innocents tant qu’ils n’ont pas été condamnés, en justice, pour avoir commis des crimes contre l’Humanité. D’ailleurs, les candidats FPÖ n’étaient pas frappés d’inéligibilité.
Le scrutin ayant été loyal, c’est donc démocratiquement que le FPÖ a accédé au Gouvernement. À signaler, au passage, que l’entrée du FPÖ au Gouvernement résulte directement de l’échec de la gauche, précédemment au pouvoir, depuis très longtemps, alliée au FPÖ (1983/86) [1], et de la carence de la droite modérée à proposer un programme suffisamment satisfaisant pour rallier une majorité sans appoint extrême. Il convient de distinguer les causes et les effets.
Quoi qu’il en soit, le FPÖ et Jörg Haider sont fortement soupçonnés de vouloir mener une politique néonazie, avec tout ce que cela impliquerait d’horreur, aussitôt qu’il leur sera possible. Rien n’interdit aux défenseurs vigilants de la Démocratie, qui dénoncent avec une égale vigueur les crimes du nazisme et du communisme, de formuler le postulat ou de retenir l’hypothèse selon lesquels Jörg Haider et son parti sont des disciples de Hitler et que le danger est grand de voir se répéter l’abomination du IIIème Reich.
Sauf à être frappés d’inéligibilité et/ou à tenter et réussir un coup d’État, si le FPÖ et Jörg Haider continuent d’avoir le vent en poupe, ils parviendront démocratiquement au pouvoir et, selon les Cassandre, pourra se répéter l’horrible scénario du passage de la démocratie à la dictature que connut l’Allemagne entre 1932 et 1934.
Dès lors, il est légitime de se demander comment on pourrait empêcher qu’une majorité absolue détenue par le FPÖ ne transforme la Démocratie autrichienne en un sanglant totalitarisme. Tel est le scénario catastrophe qui se profile et fait l’objet de tant d’inquiétude.
Pour lutter contre le mal, le mieux est encore de le connaître. Pour cela, il est nécessaire de se pencher sur ce qui se passa effectivement, en Allemagne, durant la période charnière 1932/34 qui vit les Nazis accéder démocratiquement au Reichstag et, grâce à cette position, procéder à un coup d’État démocratique. Qu’aurait-il fallu faire, alors, pour empêcher cela ?
Ascencion du nazisme en Allemagne
En juillet 1932, les nazis obtinrent 230 sièges au Reichstag. Mais, ils n’y disposaient pas de la majorité absolue. Les socialistes avaient 133 députés, les centristes, 97, les communistes, 89 ; 59 sièges appartenaient à diverses formations politiques. C’est dans ce contexte qu’en septembre 32 fut votée une motion de censure contre le Chancelier von Papen [2] à raison de 512 voix contre 42.
Force est de noter, en cette affaire, qu’une grande majorité des votes socialistes, centristes et communistes fit cause commune avec les nazis !
Von Papen démissionna en novembre 32, après la constitution d’un nouveau Reichstag où les nazis n’obtinrent que 196 sièges (perte de 2 millions de voix) contre 121 aux socalistes, 100 aux communistes et 52 au parti national. Von Schleicher lui succéda, le 2 décembre 32, mais ne parvint pas à obtenir une majorité stable pour soutenir son Gouvernement. Sa fin politique survint en janvier 33 lorsque Hitler fut nommé Chancelier grâce à la démobilisation et à la désunion des socialistes, des centristes et des communistes.
La suite ne fut qu’une logique descente aux enfers. Fort de la faiblesse de ses adversaires, Hitler obtint 288 sièges au Reichstag élu en mars 33 et, moins d’une semaine après le scrutin, prit la liberté d’annuler le mandat des députés communistes. Enfin, en octobre, il obtint l’instauration du Parti Unique National avec 92 % des suffrages.
De toute cette période d’agonie de la République de Weimar et de détournement pervers de la Démocratie, il convient de retenir que les forces se réclamant de cette dernière, à tort ou à raison, n’ont eu ni la lucidité ni le courage de s’opposer efficacement aux nazis.
Mandatées par le peuple allemand, ces supposées élites auraient pu, fortes de leur majorité globale au Reichstag, en juillet 32, contrecarrer les nazis en nommant un chancelier issu de leurs rangs pour mettre en œuvre un programme de Gouvernement propre à résoudre les problèmes majeurs de leur mandant.
Ils furent incapables, coupable carence, de réaliser l’union sacrée pour s’opposer, jusqu’à la mort ( ! ?), à la « peste brune » dont on nous dit, aujourd’hui, que les conséquences en étaient alors prévisibles à l’évidence. De la valeur des prédictions a posteriori ?
Mémoire sélective de la gauche française
Depuis l’entrée du FPÖ au Gouvernement autrichien, les politiques français, notamment de gauche, ne cessent de dénoncer cette participation au nom de leur crainte de la répétition du funeste passé. Ils rappellent, avec insistance, que l’entrée démocratique du FPÖ au sein du Gouvernement autrichien contient un danger potentiel égal à celui que représentaient les nazis au Reichstag, en 1932.
Enfin, ils insistent sur le fait que les nazis entrèrent au Reichstag démocratiquement et que Hitler fut nommé Chancelier tout aussi démocratiquement.
Or, arrêter la dénonciation à ce stade, revient implicitement à accuser le peuple allemand de responsabilité collective dans le détournement qui fut fait de la Démocratie pour installer le régime totalitaire nazi, avec son cortège d’abomination.
C’est exonérer trop vite de leurs responsabilités les partis, supposés démocratiques, qui firent preuve d’une incompétence notoire dans la gestion du pays ; au point de provoquer l’émergence d’une opposition extrémiste telle que le nazisme. C’est également disculper ces partis de l’incohérence et de la lâcheté dont ils firent preuve, tandis qu’ils détenaient encore la majorité parlementaire, en ne luttant pas jusqu’au bout pour respecter le mandat que leur avaient confié leurs mandants.
Crédibilité politique
Pour en revenir à l’Autriche, s’il advenait que la situation évolue de manière à donner raison aux Cassandre, il conviendra de ne pas oublier que c’est l’échec des partis au pouvoir avant 1999 qui a conduit au développement du FPÖ et à son entrée au Gouvernement.
Et, si le FPÖ parvenait à obtenir la majorité absolue, et se laissait aller à la dérive néonazie dont on l’accuse, les partis démocrates minoritaires devraient lutter jusqu’au bout pour dénoncer cette dérive, provoquer une prise de conscience des Autrichiens qui obligeraient ledit FPÖ à renoncer à sa tentation totalitaire.
Cependant, pour éviter que ne se produise ce scénario catastrophe, il serait peut-être plus simple que les partis, socialiste, chrétien-démocrate ou autres, élaborent et proposent aux Autrichiens un programme crédible de gouvernement qui leur apporterait la majorité absolue, seul ou en coalition, coupant ainsi l’herbe sous le pied d’un FPÖ inquiétant.
Post-Scriptum
La crédibilité et l’efficience politiques demeurent les meilleurs garants de la mise à l’écart des extrêmes. L’élection présidentielle française de 2002 le confirme.
Aujourd’hui, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2007, les politiques redoutent la répétition d’avril 2002.
S’amusent-ils à se faire peur pour mobiliser les troupes électorales ? Ou, est-ce leur lucidité quant aux calamiteux mandats de Chirac et au manque de perspective offert par ses successeurs de droite et de gauche qui justifie leur appréhension ?
Notes :
[1] Jörg Haider devint président du FPÖ en 1986, ce qui rompit la coalition avec le SPÖ.
[2] Vice‑Chancelier au début du Gouvernement de Hitler ; puis, envoyé extraordinaire à Vienne et, enfin, ambassadeur en Turquie. Acquitté par le Tribunal de Nürnberg.